Entretien avec Noémie Maury Courtais
Une orthopédagogue, qu'est-ce que c'est ?
Juliette Quenot
12/11/20238 min read
1. Bonjour Noémie ! Pour commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Bonjour Juliette, merci pour cette invitation ! Je m'appelle Noémie Maury Courtais, j'habite dans le Nord de la France, j'aime le fromage, les jeux de société et le shuffleboard et suis une passionnée d'intelligence collective. Un point saillant de mon parcours professionnel : j'ai quitté l’Éducation Nationale et mon poste d'enseignante spécialisée pour créer mon activité d'orthopédagogue et promouvoir au quotidien la présomption de compétences !
2. Qu’est-ce qu’un orthopédagogue ? En quoi consiste votre travail au quotidien ?
Un orthopédagogue a pour but d'accompagner au quotidien tout apprenant qui rencontre des difficultés (avec ou sans trouble neuro-développemental) qui viennent impacter son quotidien par un accès terni aux apprentissages.
Il peut s'agir de difficultés liées à l'attention, l'inhibition de l'impulsivité, l'initiation à la tâche, la compréhension, la mémorisation, la planification, etc. L'objectif de l'orthopédagogue ? Partir de stratégies cognitivo-comportementales éprouvées pour aider l'apprenant à mieux se connaître (notamment au niveau du fonctionnement du cerveau), identifier ses leviers d'apprentissage et son potentiel, afin de progresser sur les objectifs qu'il s'est fixé. L'orthopédagogue va également offrir des opportunités à l'apprenant de s'observer, s'évaluer, moduler ses réactions (métacognition, autorégulation), il va rendre explicite des processus complexes pour y donner sens et s'assurer du transfert dans le quotidien (à l'école par exemple).
Mais à mon sens, la mission de ce professionnel va bien plus loin. En effet, vulgariser les mécanismes d'apprentissage et des aménagements raisonnables au grand public, afin de contribuer à une société réellement inclusive et accessible, me semble un objectif prioritaire ! Il faut aussi savoir que l'orthopédagogie est un métier pluriel, qui peut autant s'exercer en cabinet (libéral), en classe (de plus en plus d'enseignants se forment), en établissement médico-social, en association, en entreprise, en EHPAD, etc., laissant un champ des possibles inépuisable au quotidien. Pour ma part, j'ai créé mon activité autour de 4 axes qui me semblent essentiels : sensibiliser, accompagner, soutenir et former.
J'interviens auprès de différents publics : - des apprenants (de tout âge) qui arrivent à mon cabinet, avec une plainte précise (souvent en lien au parcours scolaire ou professionnel). - des apprenants en rupture de parcours (phobie scolaire, handicaps, etc.), accompagnés par des associations ou plateformes avec lesquelles je suis conventionnée. - des familles, qui veulent un transfert de gestes, pour soutenir au mieux leurs enfants. - des professionnels d'accompagnement ou de l'éducation qui souhaitent être accompagnés aux gestes orthopédagogiques, mais aussi à l'accessibilité des savoirs, le concept d'autodétermination, l'accompagnement des besoins spécifiques. - des futurs orthopédagogues qui veulent se former, par le biais d'une formation complète et professionnalisante. - des entreprises, organismes de formations, associations, qui réfléchissent à adapter leur fonctionnement, stratégies, supports à leurs bénéficiaires, pour améliorer le sentiment d'efficacité au travail. Idéal pour ne pas s'ennuyer :)
3. Quand et comment peut-on faire appel à un orthopédagogue ?
La richesse de ce métier est la pluralité d'actions. L'orthopédagogue peut autant intervenir en sensibilisation/prévention, en évaluation ou en intervention ; de manière individuelle ou à destination de groupes.
Pour vous illustrer cela, voici trois exemples de sollicitations :
- Une école qui souhaite sensibiliser son équipe au sujet de l'attention, afin de coordonner des actions en classe et mettre en place de nouvelles stratégies, afin de soutenir au mieux l'ensemble des élèves.
- En cabinet, l'évaluation orthopédagogique d'une demoiselle de 10 ans, qui arrive avec sa famille suite aux conseils de son orthophoniste. Pas de trouble des apprentissages, aucune nécessité de rééducation, mais une difficulté à s'activer (Entrée dans la tâche ou la maintenir), notamment sur les temps évaluatifs. Le plan d'intervention établi permettra d'identifier les points forts, les points d'effort, les besoins de la jeune fille et apportera des pistes à exploiter dans la famille et à l'école. À cela s'ajoutera les objectifs qui seront travaillés au cabinet, pour lui permettre de développer de nouvelles stratégies.
- Par le biais d'une plateforme de coordination, le suivi d'un jeune homme de 15 ans, en rupture de parcours. L'intervention a pour but de ré-assurer le garçon sur son potentiel d'apprentissage et ses capacités à tendre vers un projet professionnel, malgré son handicap. Il est là important de lui structurer des stratégies d'apprentissage, pour qu'il automatise certaines tâches et sa fatigue moins.
Il faut savoir que pour notre activité libérale, se sont principalement les familles qui nous contactent ; soit sur conseil de partenaires (enseignant, orthophoniste, ergothérapeute, etc), soit par initiative personnelle. Le métier est en cours de structuration en France et encore non reconnu. Je ne peux donc que conseiller aux parents/apprenants de se renseigner sur le professionnel identifié en amont à un accompagnement : études et parcours professionnel, formation orthopédagogique suivie, modalités de l'accompagnement, etc.
Elles peuvent aussi se rapprocher des organismes de formation (EFO, Manabi, IFEO, etc.) ou les associations qui soutiennent la reconnaissance du métier (UOF ; les orthopédagogues).
4. Quelles sont d’après vous les principales difficultés d’apprentissage pour les enfants ? Et pour les adultes ?
Je dirais que ce sont bien souvent les mêmes, que ce soit chez l'adulte ou l'enfant. Celles en lien aux fonctions exécutives et cognitives me semblent pertinentes à avancer ici. On a souvent tendance à se concentrer sur des difficultés d'ordre "disciplinaires", par exemple la lecture, la résolution de problème, les capacités rédactionnelles ou encore la prise de parole en public. Malheureusement, celles-ci sont souvent déjà des résultantes de problématiques plus ancrées. Essayer de résoudre ces difficultés, sans aller plus en profondeur, ce serait comme mettre un pansement sur une blessure sans la désinfecter. Chercher les profondeurs de l'iceberg est une nécessité, pour accompagner et soutenir sans s'épuiser.
Par exemple, que l'on soit adulte ou enfant, on nous a rarement explicité ce qu'est l'attention. Dommage lorsque l'on sait à quel point c'est un pré requis à tout apprentissage ! On répète souvent à notre époux, enfant, ami, apprenant : "Non, mais tu m'écoutes. Sérieusement, soit attentif !" Mais concrètement, ça veut dire quoi ? Comment la définissez vous cette fameuse attention ? Et votre voisin ? Quels sont les signes, chez vous, qui vous permettent d'identifier si vous êtes ou non attentif ? Quels distracteurs vous empêchent de réellement être dans une tâche ? Quelles stratégies mettez-vous en place pour raccrocher à votre activité ? Et saviez-vous qu'il est impossible de faire deux choses à la fois (même chez vous mesdames) ?
Je pourrais vous faire le même questionnement sur l'acte de mémoriser. Les mécanismes d'apprentissage ne sont jamais explicités et modelés, alors qu'ils sont finalement la base ! Enfin, nous pourrions quand même pointer que notre génération est bien handicapée au niveau de la régulation émotionnelle : accepter qu'il n'y ait pas de bonnes ou mauvaises émotions, que toutes sont essentielles afin d'identifier et répondre à nos besoins et que l'on peut les verbaliser sainement serait une réelle plus-value pour vivre des expériences d'apprentissage sereines !
5. Quel rapport entretenez vous avec les écrans ?
La question est intéressante, car mon point de vue évolue beaucoup avec le temps, la maturité et surtout les retours de plus en plus sourcés à ce sujet. Issue d'études dans la communication et la publicité, l'image a toujours eu beaucoup d'importance pour moi et de ce fait, les vecteurs (dont les écrans) également. Je suis communément ce que l'on appelle une "fille de la pub". Hyperconnectée, intéressée par les nouveaux médias et leurs impacts, l'écran bleu est chez moi un outil, mais aussi un distracteur puissant.
De ce fait, lorsque je suis devenue maman, j'ai voulu être vigilante à ce point, en limitant au maximum les écrans. Nous n'avons d'ailleurs pas de télévision à domicile. Et puis finalement, à force de me documenter sur ce sujet, j'ai compris que comme toujours, rien n'est tout blanc ou tout noir. Ce n'est pas l'écran le problème, mais son usage. Ce qui me semble essentiel à garder en tête :
- Identifier les différents écrans et les activités que les enfants peuvent réaliser sur chacun d'eux
- Définir explicitement les règles sur ce sujet (où, quand, combien de temps, contenu, etc)
- Mettre une politique éducative cohérente (cela veut dire qu'il va être nécessaire de trouver des consensus familiaux, notamment en couple)
- Laisser à l'écran la place qui est la sienne : une activité, comme d'autres, qui mérite du coup d'être encadrée et accompagnée.
Enfin, l'écran peut être un formidable outil d'apprentissage et ce, tant qu'il reste un moyen d'accès à une compétence. Me viennent notamment en tête les logiciels de communication alternative et améliorée (CAA) qui permettent à des personnes non oralisantes d'exercer leurs droits, en pouvant entrer en interactions avec leurs pairs.
6. Que pensez-vous des outils grand public fondés sur l’intelligence artificielle, comme Chat GPT ?
Passionnée de science fiction, j’étais persuadée, quand j'étais gamine, qu'on en arriverait là un jour. Et je vous épargne jusqu'où me mène mon imagination débordante 😅 L'IA n'est qu'une illustration supplémentaire du fait que notre monde se transforme et évolue. Est ce bien, mal ? Là encore, ce n'est pas si simple ! J'y vois surtout de nouvelles stratégies d'apprentissage, qui s'adaptent aux besoins de chacun et un accès toujours plus rapide aux informations. Cela signifie un cerveau beaucoup plus sensibles aux biais cognitifs et aux heuristique (réponses automatiques et raccourcis cognitifs qui le trompent). Ce qui me semble donc primordial est de soutenir nos générations et les suivantes à ces changements, en valorisant l'éthique, la créativité, l'esprit critique, la résolution de problèmes et l'intelligence collective. Tant de tâches complexes que vient appuyer l'orthopédagogie. Quand je vous dis que l'on a de beaux jours devant nous :)
7. En quoi consiste votre rôle d’enseignante spécialisée ?
En réalité, il s'agit de ma première vie (ou plutôt ma seconde pour être honnête). Une reconversion m'a fait croiser l’Éducation Nationale et m'accrocher aux pattes du Mammouth. J'ai repris mes études afin d'obtenir un Master 2, puis j'ai passé mon concours de professeur des écoles (CRPE) et mon certificat d'aptitude professionnelle aux pratiques de l'éducation inclusive (CAPPEI) pour me spécialiser, notamment dans l'autisme et plus généralement les troubles neuro-développementaux (TND). Sans le savoir, il s'agissait déjà d'un premier pas vers mon projet de vie actuel…
Ce rôle m'a permis d'avoir une vision complète du système éducatif actuel, les différentes modalités de scolarisation possibles et m'a appris la nécessité de l'observation et de l'analyse. J'ai pris de la distance face à l'importance que j'attachais aux étiquettes trouble ("il n'y arrive pas parce qu'il est autiste "), pour raccrocher au plus important : les besoins ! J'ai compris que chacun avançait sur son propre chemin et que son potentiel d'apprentissage était unique et méritait un accompagnement en ce sens, sans jugement ni limite de la part d'un tiers. À partir de ce moment là, les concepts de PRÉSOMPTION DE COMPÉTENCES et D'AUTODÉTERMINATION ont rythmé mon quotidien, tant sur le plan personnel que professionnel.
J'ai aussi découvert le travail en équipe, la congruence des regards croisés pour accompagner au mieux les élèves et j'y ai vu l'école se transformer. Cette transformation est douloureuse pour beaucoup et pourtant essentielle au respect de chacun. Mais pour aller plus loin et être dans une réelle école inclusive, les équipes ont besoin de soutien, de pistes et de clés de compréhension !
8. Un conseil clé pour mieux apprendre à 10 ans ? 20 ans ? 40 ans ? 60 ans ?
Avoir un état d'esprit dynamique et surtout, se mettre en projet ! Croire en son potentiel est essentiel pour apprendre, cela favorise l'ouverture aux nouvelles idées, la résilience face aux obstacles et la volonté d'expérimenter. C'est aussi nécessaire pour adapter ses connaissances en constante évolution et de saisir les opportunités d'apprentissage tout au long de la vie.
Rien n'est fruit du hasard ou de la chance, l'homme a l'opportunité de détenir l'outil le plus puissant qui lui est donner pour évoluer : le cerveau. La plasticité, c'est tout au long de la vie, donc stop à la résignation et aux pensées limitantes (on arrête de se répéter que "l'on a pas la bosse des maths" ou que "j'ai une mauvaise mémoire).
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