Sujet Bac (commentaire de Denis Diderot) - Copie d'élève

La recette du succès pour le commentaire, à partir d'une excellente copie !

Juliette Quenot & Alix (élève de Première)

12/12/20238 min read

SUJET : Denis DIDEROT, Salon de 1767, réflexion sur le tableau d’Hubert Robert, Grande Galerie antique, éclairée du fond.

Les idées que les ruines réveillent en moi sont grandes. Tout s’anéantit, tout périt, tout passe. Il n’y a que le monde qui reste. Il n’y a que le temps qui dure. Qu’il est vieux ce monde ! Je marche entre deux éternités. De quelque part que je jette les yeux, les objets qui m’entourent m’annoncent une fin, et me résignent à celle qui m’attend. Qu’est-ce que mon existence éphémère, en comparaison de celle de ce rocher qui s’affaisse, de ce vallon qui se creuse, de cette forêt qui chancelle, de ces masses suspendues au-dessus de ma tête, et qui s’ébranlent ? Je vois le marbre des tombeaux tomber en poussière ; et je ne veux pas mourir ! et j’envie un faible tissu de fibres et de chair à une loi générale qui s’exécute sur le bronze ! Un torrent entraîne les nations les unes sur les autres, au fond d’un abîme commun ; moi, moi seul, je prétends m’arrêter sur le bord, et fendre le flot qui coule à mes côtés !

Si le lieu d’une ruine est périlleux, je frémis. Si je m’y promets le secret et la sécurité, je suis plus libre, plus seul, plus à moi, plus près de moi. C’est là que j’appelle mon ami. C’est là que je regrette mon amie. C’est là que nous jouirons de nous sans trouble, sans témoins, sans importuns, sans jaloux. C’est là que je sonde mon cœur. C’est là que j’interroge le sien, que je m’alarme et me rassure. De ce lien, jusqu’aux habitants des villes, jusqu’aux demeures du tumulte, au séjour de l’intérêt des passions, des vices, des crimes, des préjugés, des erreurs, il y a loin.

Si mon âme est prévenue d’un sentiment tendre, je m’y livrerai sans gêne. Si mon cœur est calme, je goûterai toute la douceur de son repos. Dans cet asile désert, solitaire et vaste, je n’entends rien, j’ai rompu avec tous les embarras de la vie. Personne ne me presse et ne m’écoute. Je puis me parler tout haut, m’affliger, verser des larmes sans contrainte.

[AMORCE] Le mouvement des Lumières, au 18ème siècle, se caractérise notamment par l’étude de tous les arts et de leur portée. La critique des œuvres d’art, par exemple les peintures, en fait partie. [AUTEUR] Denis Diderot, philosophe et écrivain né en 1713, dont l’activité de critique d’art est moins connue, a exercé ses talents d’écriture pour commenter de nombreuses peintures. [TEXTE] Le père de L’Encyclopédie a ainsi rendu compte de l’œuvre d’Hubert Robert, nommée Grande Galerie antique, éclairée du fond. Ce tableau a été exposé au Salon de Paris de 1767. Elle expose un paysage de ruines déclenchant des sentiments multiples et des pensées profondes chez le critique, qu’il partage avec le lecteur. [PROBLÉMATIQUE] Il s’agit donc de se demander comment Diderot, dans sa contemplation artistique, par le lyrisme et les jeux d’opposition, invite le lecteur à réfléchir sur le rôle de l’art comme consolation face au tragique de l’existence. [PLAN] Nous étudierons, dans un premier temps, de quelle manière Diderot rend compte d’un paysage qui le bouleverse. Dans un second temps, nous analyserons les jeux d’opposition et le lyrisme permettant l’assimilation du lecteur aux sentiments et aux pensées du critique. Pour finir, nous chercherons en quoi Diderot met en lumière l’importance de l’art et propose une réflexion sur la condition humaine.

[IDÉE DIRECTRICE I.] Tout d’abord, Diderot rend compte d’un paysage qui le bouleverse.

[IDÉE DIRECTRICE I. A.] Il est absorbé par la contemplation de l’œuvre d’art. [DÉVELOPPEMENT] En effet, Diderot se réfugie dans le tableau. Il se l’approprie comme un lieu de recueillement. Cela est mis en lumière par la répétition et l’anaphore « C’est là […] ». L’adverbe de lieu « là » répété insiste sur la volonté de Diderot de pénétrer dans ce paysage de ruines. De plus, les propositions subordonnées répétées « de ce rocher qui s’affaisse, de ce vallon qui se creuse, de cette forêt qui chancelle » évoquent l’érosion lente des éléments naturels face au temps. Ceci souligne la fugacité de l’existence humaine. Ainsi, ces propositions soulignent l’immersion du critique, qui se décrit comme entouré des objets et éléments de la représentation artistique. [CONCLUSION I. A.] En résumé, cette immersion ouvre la voie à une introspection, qui lui révèle la fugacité de son existence.

[IDÉE DIRECTRICE I. B.] Diderot est en effet également bouleversé face à l’immensité qui se trouve en face de lui. [DÉVELOPPEMENT] Il est en proie à une crise existentielle, mise en valeur par l’exclamation « Qu’il est vieux ce monde ! ». Celle-ci montre l’association du temps et du monde. Diderot réalise que le monde a vu passer de nombreux évènements et est toujours présent. Il était là avant lui et sera là après lui. De surcroît, le parallélisme avec la répétition de la conjonction de subordination “si” révèle que Diderot est bouleversé face au tableau. Ses sentiments et son humeur sont variables face à ce paysage de ruines. Enfin, le critique est transporté par la contemplation de l’œuvre d’art, qui l’emmène dans des endroits lointains. Il se sent isolé et est coupé du monde. Cela est mis en avant par la négation totale, portée par la proposition « je n’entends rien ». [CONCLUSION I. B.] En somme, la toile l’hypnotise, l'absorbe tout entier et provoque en lui un grand bouleversement.

[TRANSITION I. - II.] Ainsi, Diderot décrit sa contemplation du paysage de ruines représenté sur la toile. Face à l’immensité, il est confronté à une réalité brutale : il réalise à quel point la vie humaine est fugace. Cela déclenche alors chez le critique une crise existentielle, qui est le point de départ de son expression lyrique.

[IDÉE DIRECTRICE II.] Le lyrisme et les jeux d’opposition permettent l’assimilation du lecteur aux sentiments et aux pensées de Diderot.

[IDÉE DIRECTRICE II. A.] Tout d’abord, l’expression des sentiments du critique incite le lecteur à s’identifier et à s’impliquer.[DÉVELOPPEMENT] En effet, dans sa contemplation du tableau, Diderot est en pleine introspection. Il est bouleversé et est en proie à de fortes émotions qu’il partage avec le lecteur. Ces émotions sont soulignées par les nombreuses phrases exclamatives telles que « Qu’il est vieux ce monde ! » ou « [...] je ne veux pas mourir ! ». De plus, les propositions subordonnées conjonctives circonstancielles de condition, comme « Si le lieu d’une ruine est périlleux, je frémis », permettent également à l‘écrivain d’exprimer ses sentiments, auxquels les lecteurs peuvent s’assimiler. Par ces procédés, Diderot pose un cadre qui permet au lecteur de se projeter. Le critique use aussi de jeux d’opposition, avec « les nations les unes sur les autres » et « moi, moi seul ». Cette opposition est portée par l’exclamation. Ensuite, avec la répétition du pronom personnel « moi », Diderot révèle son souhait de résister au temps qui passe. Toutefois, il sait que c’est impossible et se désespère de cette brutale réalité. [CONCLUSION II. A.] Tout au long du texte, il exprime son émotion avec force et le lecteur peut s’identifier.

[IDÉE DIRECTRICE II. B.] Le critique fait également part de ses pensées. [DÉVELOPPEMENT] En effet, l’antanaclase avec les deux noms communs « amis/amies » opposant la relation d’amitié et la relation amoureuse suggère que le critique ne nomme pas ses anciennes relations. Ainsi, l’antanaclase crée un effet de complicité entre l’auteur et le lecteur. Ce dernier peut aussi s’assimiler aux pensées du critique en songeant à ses propres amours. De surcroît, l’opposition entre le champ lexical de la tranquillité et celui des défauts humains, avec des noms tels que « secret, « sécurité », « libre », « douceur » pour le premier et « trouble », « importuns », « vices », « crimes » pour le second, semble indiquer que l’auteur incite le lecteur à être de son côté, face aux défauts humains. [CONCLUSION II. B.] Somme toute, les jeux d’opposition sont une façon pour Diderot de pousser le lecteur à se ranger de son côté, pour fuir et s’isoler d’un monde plein de vices.

[TRANSITION II. - III.] Ainsi, le critique partage son envie de fuir le monde. Il évoque, dans cette perspective, le refuge que peut constituer l’art pour lui.

[IDÉE DIRECTRICE III.] Enfin, Diderot met en lumière l’importance de l’art comme un remède contre le tragique de l’existence.

[IDÉE DIRECTRICE III. A.] Sa contemplation du tableau, et peut-être l’art en général, sont un moyen d’échapper à la misère de la condition humaine. [DÉVELOPPEMENT] Ceci est sensible à travers la juxtaposition de trois propositions brèves commençant par le pronom “tout” :“Tout s’anéantit, tout périt, tout passe.”. La juxtaposition souligne les effets du temps qui passe. Elle permet également de créer un effet dramatique, puisqu’elle souligne la fin inévitable de toute chose. De plus, ces propositions forment un rythme ternaire, grâce à la gradation et à la répétition de “tout”. Ceci souligne la force inéluctable du temps. L’auteur, face au paysage du tableau, à l’art en général, se retrouve. Il s’appartient tout entier et s’écoute. Ce recueillement dans la peinture est mis en lumière par l’accumulation : “je suis plus libre, plus seul, plus à moi, plus près de moi”. [CONCLUSION III. A.] Diderot semble donc nous dire que l’art est un moyen de fuir la misère humaine.

[IDÉE DIRECTRICE III. B.] L’art permet aussi de se réfugier dans la solitude, afin de fuir la société et ses vices. [DÉVELOPPEMENT] Nous retrouvons tout d’abord un lexique de l’isolement avec l’hyperbole “cet asile désert, solitaire et vaste”. L’auteur insiste sur l’espace isolé que constitue la peinture pour lui. Il est loin de tout, dans une sorte de refuge coupé du monde réel. Par ailleurs, la solitude du critique est mise en valeur par l’allitération en ”s”, avec les mots “existence”, “s'affaisse” “se creuse” et “chancelle”. On peut noter d’ailleurs que tous ces mots désignent des objets inertes, les objets de la peinture qui l’entoure. Diderot n’évoque pas de présence , car l'œuvre lui permet de s’enfermer dans un univers solitaire. Enfin, dans la phrase “De ce lien, jusqu’aux habitants des villes, jusqu’aux demeures du tumulte, au séjour de l’intérêt des passions, des vices, des crimes, des préjugés, des erreurs, il y a loin”, le noyau de la phrase est postposé, et vient après un long complément. Cette construction met en valeur l’impression de sérénité qui se dégage de la contemplation du tableau, en opposition avec la misère humaine précédemment évoquée. [CONCLUSION III. B.] Ainsi, le critique présente la contemplation de l’œuvre d’art comme une porte dérobée, un moyen de fuir la société pour être plus heureux.

[TRANSITION III. - CONCLUSION GÉNÉRALE] En somme, il semble que l’œuvre d’art permette d’adoucir le tragique de la condition humaine, en offrant un refuge bienheureux à celui qui l’observe.

[RÉSUMÉ] Dans ce texte, Diderot rend compte de sa contemplation de l’œuvre Grande Galerie antique, éclairée du fond. Cette contemplation lui fait prendre conscience de la fugacité de son existence. Les jeux d’opposition et le lyrisme permettent la communion avec le lecteur. Enfin, cette contemplation conduit également l’auteur à fuir la société, cette dernière représentant la misère de la condition humaine. [RÉPONSE À LA PROBLÉMATIQUE] Ainsi, Diderot invite le lecteur à réfléchir sur le rôle de l’art comme refuge et consolation dans l’existence, essentiellement à travers les jeux d’opposition et le lyrisme. [OUVERTURE] Alphonse de Lamartine décrit aussi son angoisse face à la fuite du temps, dans son poème “Le Lac”, dans les Méditations poétiques. Il décrit un moment heureux avec une femme qu’il aime, et souhaite que ce moment dure pour l’éternité. On peut finalement considérer qu’il y parvient : le poème, très célèbre, a rendu ce moment immortel.

Alix.

Élève de Première